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Davi sur la Route
21 octobre 2016

Les locaveurs

Bousculés par le succès grandissant des ventes directes, industriels et enseignes de l'agroalimentaire s'emploient à développer les circuits courts. Véritable mue ou simple opération marketing ? Ce soir-là, sur la terrasse fermée du Numa, un incubateur de start-up du Sentier, devenu le point de ralliement de l'écosystème numérique parisien, c'est l'effervescence. Tout le gratin de la "foodtech" est là pour discuter big data, nouveaux usages et dernières applis tendance autour d'un buffet composé de biscuits apéritifs fabriqués à base d'insectes et de plats imaginés par une intelligence artificielle. Lorsque la conférence glisse sur les bonnes pratiques à adopter, Alexandre Mulliez, directeur de l'innovation à Auchan Direct et petit-fils du fondateur de la chaîne d'hypermarchés, croit bien faire en vantant les mérites des circuits courts. Et ajoute, l'air de rien: "Travailler avec 'La ruche qui dit oui'? Pourquoi pas!" Une révolution, dans le petit monde de la distribution. Mais la riposte de la start-up qui met en relation depuis 2011 producteurs locaux et consommateurs ne s'est pas fait attendre: "Nous ne travaillerons jamais avec la grande distribution", lit-on le lendemain matin sur Twitter. Quelques jours plus tard, son président, Marc-David Choukroun, s'en explique: "On ne pouvait pas faire autrement. Cela fait partie de nos engagements, c'est gravé dans le marbre de notre charte. On ne doit pas faire d'affaires avec les supermarchés." Au départ, les industriels et les grandes enseignes ont ignoré, souri, puis ironisé sur ces consommateurs qui se fournissent directement auprès des agriculteurs, que ce soit sur les marchés de plein air, via des associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (Amap) ou des sites Internet. Ils n'allaient quand même pas s'affoler et prendre au sérieux ce qu'ils pensaient n'être alors qu'une lubie de bobos citadins en mal de nature. Avant de se rendre à l'évidence: en faisant passer les produits tout droit de la ferme à l'assiette, la désintermédiation pourrait menacer à terme la toute-puissance des hypermarchés et des industriels de l'agroalimentaire. Et ce n'est pas fini. Le mouvement s'est répandu comme une traînée de poudre jusque dans les cantines scolaires. Depuis que des éleveurs ont débusqué des paupiettes de lapin made in China dans une école du Lot-et-Garonne, les entreprises de la restauration collective sont montrées du doigt. On ne compte plus les municipalités qui imposent des menus bio et locaux dans leurs établissements scolaires. Agacés, industriels et chaînes d'hypermarchés se défendent comme ils peuvent en expliquant qu'ils se sont attachés, ces dix dernières années, à renforcer les logiques de proximité pour satisfaire les consommateurs et les pouvoirs publics. Las. Le mois dernier, alors que les agriculteurs en colère manifestaient un peu partout en France, un rapide sondage sur le site Internet de FranceTV Info a jeté un froid: 86,4% des internautes se disaient prêts à favoriser les circuits courts face à la grande distribution. Après avoir été dans le déni, industriels et distributeurs ont décidé d'agir. Ils rivalisent aujourd'hui d'imagination pour surfer sur la vague des circuits courts. Il y a d'abord eu ce propriétaire d'un Supermarché U à Dévecey (Doubs), qui a acheté 5 hectares de terres pour y élever des vaches et vendre, au rayon boucherie de son magasin, du boeuf du pré d'à côté. Il s'en explique: "La viande est vendue au même prix mais l'éleveur, lui, gagne mieux sa vie, car on prend en charge les aliments et les frais vétérinaires." Quelques mois plus tard, c'est l'enseigne Casino qui rachetait une entreprise de transformation de volailles promise à la fermeture. Cette incursion d'un distributeur en amont de la filière visait autant à optimiser la traçabilité qu'à maîtriser les coûts. Fleury Michon peaufine encore son projet industriel de construire des fermes autour de ses usines vendéennes pour approvisionner ses lignes de production de plats préparés. Pour cela, le groupe cofinance une ferme expérimentale à Montlouis-sur-Loire (Touraine), portée par l'association Fermes d'avenir et basée sur les Difficile de faire le tri dans toutes ces initiatives, entre l'opération marketing et la démarche authentique d'entreprises responsables. "Ça va dans le bon sens. Mais ce que les industriels et les distributeurs oublient trop souvent, c'est que les circuits courts ne se limitent pas à la vente en direct. Un des actes fondateurs, c'est la redistribution de la valeur au profit du producteur. Et je ne vois pas les entreprises renoncer à ça", dit-on à La ruche qui dit oui. Dans l'écosystème des "locavores", les fermiers, les éleveurs et les maraîchers sont les mieux placés pour évaluer le prix qui rémunère à sa juste valeur leur travail. Ce sont donc eux qui fixent leurs prix de vente. Léo Coutellec, porte-parole du mouvement interrégional des Amaps, avertit lui aussi les géants de l'industrie agroalimentaire et de la grande distribution: "Il ne faudrait pas qu'ils pensent que, en prenant à leur compte seulement un aspect de notre philosophie, ils vont pouvoir récupérer comme par magie des parts de marché. Ils se trompent. C'est un vrai projet de société." On l'aura compris, les circuits courts ne se résument pas à de la vente directe. Leur finalité, c'est aussi de créer du lien social entre producteurs et consommateurs, de soutenir une agriculture fermière, de livrer des produits à maturité, et de permettre aux consommateurs d'en savoir plus sur ce qu'ils achètent. "C'est un formidable moyen d'échanger avec les producteurs, de les questionner sur l'origine des viandes, le mode d'élevage, le recours ou non aux OGM et aux antibiotiques. Ça fait toute la différence", résume Xavier Denamur, restaurateur militant, propriétaire entre autres des Philosophes et du Petit Fer à cheval, dans le Marais. Non seulement il achète son lait cru, ses oeufs, sa viande, ses fruits et légumes en direct auprès de producteurs majoritairement bio, mais en plus il en fait profiter les Parisiens. Ils peuvent commander des produits à des prix défiant toute concurrence et venir retirer leurs cagettes une fois par semaine. Des restaurateurs d'un nouveau genre voient le jour. A tel point que la sélection du guide Michelin distingue désormais les établissements des chefs "locavores", soucieux de concilier la pratique de la cuisine avec le respect des producteurs et de l'environnement.

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